“« On ne voyage pas pour le plaisir, on est con mais pas à ce point » jasaient Mercier et Camier, personnages de Samuel Beckett. 
Dans ce roman datant de 1970, on suit deux amis Irlandais aussi fantasques qu’attachants, partis faire un tour d’Irlande, bien décidés à « aller de l’avant » en ayant soigneusement préparé leur itinéraire. Ils ont tout prévu pour éviter la pluie (le sujet de discussion numéro un pendant tout le voyage) tout comme l’aventure, s’étant « refusés à affronter des mœurs étrangères, une langue, un code, un climat et une cuisine bizarre… » Leur véritable aventure se situe plutôt dans leurs échanges perchés avec des interlocuteurs burlesques au long du chemin, tous aussi fêlés que nos deux beautiful losers celtes.
Si une certaine vision risible du tourisme apparaissait dans “Mercier et Camier” à propos de voyager sans but précis, l’écrivain posait aussi à travers ses deux héros la question : qu’est-ce que l’action de voyager peut bien apporter ?
A la vue de toutes ces préparations (avant, pendant, après un voyage), toutes ces gesticulations, toutes ces choses qu’on va chercher, vérifier, est-ce bien nécessaire ? 
Ce sarcasme de Beckett fût souvent repris par des philosophes à la gâchette facile dès lors qu’il fallait tirer sur les touristes, cibles idéales, eux qui ne s’étonnent jamais de rien et se confortent dans leurs propres croyances. Le tourisme qui désormais serait différent du “voyage”, un mot qui devient de plus en plus romantique, mais surtout de plus en plus abstrait…Car voyager (au sens du déplacement physique) est de moins en moins dissociable du tourisme, de fait : aujourd’hui, 1.4 milliards de personnes voyagent, et d’ici 2030 on prévoit 400 millions de nouveaux touristes dans le monde (chiffres OMT). S’il est désormais pertinent de remettre en cause l’industrie touristique, il est aussi nécessaire de sortir des clichés sur les touristes, car nous le sommes tous plus ou moins. N’en déplaise à certains, est touriste autant la personne voyageant en solo pour aller “trekker” au Bhoutan qu’une petite famille qui passe une semaine en Hôtel club en Espagne par exemple ( à noter que le bilan carbonne des seconds est moins pire que celui du premier). Ceci étant, en dehors des individus, la question se pose,  vue ses conséquences, peut-t-on changer le tourisme ? Si oui par quel bout essayer de modifier une telle industrie mondiale qui tourne à plein régime ? Ne faut-il pas se poser la question de la sobriété quand à nos voyages, ou inventer d’autres façons de voyager, en tenant compte que ce soit possible pour tous ? 
Dans notre premier numéro Offtrack délivre des pistes, des inspirations, par le biais d’interviews de sociologues, géographes, qui s’intéressent à la question de la “mise en tourisme” du monde. 
Place aussi aux imaginaires, pour sortir le voyage du format paysage qui nous est proposé depuis des décennies, cause des voyages qu’on coche, et du tristement célèbre « j’y étais » !